Innovation qui divise ou innovation qui rassemble ?
- Alexia Kindemba
- 24 mars
- 3 min de lecture
Chaque cycle de progrès technologique charrie ses promesses — et ses paradoxes. L’innovation est tour à tour célébrée comme moteur d’émancipation et interrogée dans ses effets de fragmentation. Elle nous relie autant qu’elle nous éloigne, nous ouvre au monde autant qu’elle nous en isole. Cette antinomie soulève une question de fond : l’innovation, facteur de rassemblement ou vecteur de division ?
Les écrans sont un symbole éclairant de cette dualité. Ils permettent de converser avec un ami à l’autre bout du monde, de maintenir un lien à distance, de s’ouvrir à des horizons inaccessibles il y a encore quelques décennies. Mais ils incarnent aussi, parfois, une fracture dans la proximité immédiate : combien de conversations mises en pause, d’instants partagés éclipsés, parce que chacun reste absorbé par une autre réalité, derrière son écran ? Il n’est pas rare aujourd’hui de voir une famille réunie dans une même pièce, mais séparée par autant de dispositifs numériques que de visages.

Cette transformation des usages s’ancre dès l’enfance. Selon une étude de l’ARCEP (2021), 41 % des filles et 30 % des garçons de moins de 25 ans ont obtenu leur premier téléphone mobile avant l’âge de 12 ans. Dès le plus jeune âge, le numérique façonne les interactions. Les enfants de 1 à 6 ans passent en moyenne 2 heures par jour devant un écran, 3h30 pour les 7 à 12 ans, et plus de 5 heures chez les 13–19 ans (France Mutuelle). Cette exposition accrue aux interfaces numériques soulève des inquiétudes, tant chez les parents que chez les professionnels de santé : 65 % des parents estiment que les écrans impactent fortement le développement cognitif et social des enfants (IFOP, 2023).
La tension entre connexion et déconnexion, entre ouverture et repli, traverse bien d’autres usages. Derrière les outils technologiques, ce sont aussi des enjeux de fractures d’accès, de biais algorithmiques, d’épuisement social lié à l’hyperconnectivité, ou encore de dérives éthiques - notamment dans le recours croissant à l’IA pour des usages sensibles comme la thérapie - qui se posent.

Mais l’innovation peut aussi profondément rassembler. Elle permet à des populations éloignées d’accéder à des services essentiels, à des contenus éducatifs, à des diagnostics médicaux plus précis. Selon l’ONU, les technologies numériques facilitent la connectivité, l’éducation, l’accès à la santé et la participation citoyenne, tout en allégeant les processus administratifs et en renforçant la qualité des politiques publiques. Ainsi, dans le domaine de la santé par exemple, des technologies d’avant-garde faisant appel à l’IA aident à sauver des vies, à diagnostiquer des maladies et à accroître l’espérance de vie.
Autre exemple : selon l’association Solinum, plus de 70 % des personnes sans domicile fixe possèdent aujourd’hui un smartphone — outil devenu indispensable pour garder le contact, accéder aux services sociaux ou à l’administration. Le numérique devient alors un vecteur de dignité, un lien ténu mais vital avec la société.

Un fil de pensée est que l’innovation n’est intrinsèquement bonne ou mauvaise. Ce qui fait la différence, ce sont les choix que nous opérons. Le sens que nous donnons à la technologie. Les usages que nous privilégions. Les cadres que nous construisons pour accompagner ses effets.

Poser la question de l’innovation qui divise ou qui rassemble, c’est en réalité poser une question plus vaste : comment faire société à l’ère numérique ? Cela suppose d’interroger nos modèles, de dépasser les discours techno-solutionnistes, de réintroduire des logiques de dialogue, de sens, de responsabilité partagée. C’est par cet ensemble que l’innovation se fait levier de cohésion à hauteur d’humain — et non force de dispersion.
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